Du 16 au 27 août 2021 une campagne de fouille s’est déroulée sur le site du Vî Fournia, situé dans la vallée de l’Ours, à proximité du hameau de Linchamps (commune des Hautes Rivières), dont le rapport scientifique est disponible ici. D’après les archives disponibles, le haut fourneau existe déjà en 1573, ce qui en fait un des plus anciens du département, où les premières attestations de la technique de la réduction indirecte ne remontent pas au-delà de 1515. Le but de l’opération était d’évaluer l’état de conservation du site, en vue d’une fouille exhaustive, suivie d’une valorisation destinée à préserver les vestiges et à les rendre accessibles au plus grand nombre. Quatre tranchées de sondage (sur cinq prévues, dont deux optionnelles) d’une largeur de 1 m ont été implantées sur les anomalies topographiques (reliefs ou creux non naturels) relevées lors des observations préparatoires réalisées sur le terrain. En outre, le travail d’érosion du ruisseau a fourni une cinquième fenêtre d’observation en coupant une importante anomalie topographique perpendiculaire au ruisseau (interprétée comme une digue), située en amont du site, à proximité de point de départ supposé du coursier de prise d’eau.

La coupe naturelle de la digue supposée a fait l’objet d’un simple rafraichissement, afin d’éliminer les sédiments déplacés par l’érosion. La structure interne de la base de la digue présumée a pu être observée sur une hauteur de 1,20 m (fig. 1). Les sédiments sont identiques à ceux de la terrasse alluviale : grève mêlée d’argile avec des galets et pierres roulées, jusqu’à des blocs pluri-décimétriques. Sur la partie supérieure de la coupe, on observe une zone constituée essentiellement de pierres roulées agencées en arêtes de poisson, pratiquement sans sédiments. Cette partie de l’anomalie topographique est manifestement anthropique et permet de valider l’hypothèse d’une digue. Le fait qu’aucun niveau organique n’ait été observé dans l’épaisseur de la digue suggère un décapage et l’apport de sédiments, mais il est difficile de déterminer la topographie exacte de la terrasse alluviale originelle.

La première tranchée de sondage, située en aval de la digue, à proximité immédiate, n’a pas permis de repérer les traces du coursier, détruit par l’érosion des berges ou présentant ici une structure différente n’ayant pas laissé de trace au sol. Toutefois, une terrasse anthropique présentant un niveau de sol argileux rubéfié met en évidence des aménagements sans doute liés à la digue et à la gestion de l’eau. Cette terrasse repose sur un niveau d’éboulis qui pourrait être anthropique et correspondrait alors à une première phase d’aménagement.

La seconde tranchée de sondage, destinée à vérifier la présence d’éventuelles structure entre le haut fourneau et la digue, a révélé sous l’humus un niveau de sol pratiquement horizontal, aménagé sur le sommet de la terrasse alluviale. Comme sur la première tranchée, il se présente sous la forme d’un niveau argileux rubéfié avec de petites inclusions de charbon. Aucune structure n’a été observée.

La troisième tranchée, implantée perpendiculairement au haut fourneau, suivant un axe nord-sud, a mis en évidence le parement du haut fourneau, les vestiges du coursier et deux bâtiments dont un attenant au haut fourneau. Le dégagement de la paroi externe du haut fourneau (fig. 2) a permis de documenter sa technique de construction : une maçonnerie liée à l’argile, utilisant les pierres présentes localement (schistes, quartzites, quartz…). Il est probable qu’une partie des pierres proviennent simplement du ruisseau qui charrie de grandes quantités de matériaux, comme le montre l’aspect roulé de la majorité des blocs. La maçonnerie est conservée sur environ 1,40 m, ce qui laisse présumer que les parties techniques, arrivée d’air et gueulard (qui permet l’écoulement de la fonte), sont conservées et pourront être étudiées. Au pied du haut fourneau, les reste d’une couverture en faisiaux (ardoises fixées à l’argile) ont été dégagés (fig. 3). Il s’agit sans doute de la plus ancienne attestation archéologique de ce type de couverture, caractéristique du massif ardennais.

Le coursier, canal de dérivation amenant l’eau auprès du moulin actionnant la soufflerie, se présente sous la forme de deux tranchées parallèles de 25 cm de large et 15 cm de profondeur (fig. 4). Ces tranchées correspondent à l’implantation des poutres servant de support à un cuvelage en bois, similaires à celles observées sur le haut fourneau de Gliney (Eure) où les poutres étaient conservées.

De l’autre côté du bief, en vis-à-vis du haut fourneau, un mur dont la maçonnerie est similaire à celle du haut fourneau a été dégagé, au pied d’une terrasse artificielle (fig. 5). La présence de bois d’œuvre et d’un élément de couverture en faisiaux prouve qu’il ne s’agit pas d’un simple mur de terrassement, mais d’un bâtiment couvert. Sa fonction est pour le moment incertaine. Il pourrait s’agir d’une halle pour le stockage du charbon et du minerai. L’absence de mur parallèle dans la tranchée suggère que le bâtiment se développait au sud, sur la terrasse.

La dernière tranchée de sondage, à l’est du haut fourneau, a confirmé la présence du crassier. La structure a été fouillée sur près d’un mètre d’épaisseur, sans parvenir à atteindre le sol ancien (fig. 6). Elle montre une alternance de rejets de scories et de remblais stériles, qui semblent indiquer des aménagements, ou tout au moins des terrassements, pendant la période d’activité du haut fourneau. Les rejets de scories sont particulièrement denses, avec un taux de scories de plus de 80 % dans les prélèvements qui ont été réalisés. La découverte d’une coulure de fonte nous permet de disposer d’un échantillon de la matière première produite sur le site.

Ces résultats confirment la bonne conservation des vestiges du haut fourneau et le potentiel du site pour comprendre la conception technique des hauts fourneaux primitifs dans le département des Ardennes. Il sera ainsi possible de mieux comprendre les modalités de l’implantation de la technique de la réduction indirecte dans le courant du xvie siècle dans le nord des Ardennes.

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